Ode au Silence

Dans le texte publié très récemment, je faisais référence à une phrase de Dan Duchateau 1️⃣ : « Le silence triomphe lorsque les mots échouent à nommer l’indicible ». Celle-ci a été publiée sur le site de la « pause philo » (plapausephilo.fr) suite à une phrase, une citation de Ludwig Wittgenstein 2️⃣ : « Ce dont on ne peut parler, il faut le taire ».

J’ai toujours de l’estime pour les mots car ils sont des outils magnifiques. Mes publications sur ce groupe en sont la preuve. Pourtant leur éclat, si je peux m’exprimer ainsi, pâlit devant l’immensité de certaines expériences. Il m’arrive de ressentir des expériences qui défient tout vocabulaire. Même des mots inventés, comme je l’ai déjà fait dans différents textes 3️⃣, ne peuvent approcher l’immensité de l’expérience vécue.

Comment puis-je exprimer ce qu’est un souffle, une vibration, un ressenti, une énergie, une odeur ? Si je tends la main pour les saisir, ils m’échappent comme de l’eau entre les doigts. Je me rends alors compte que certaines réalités n’ont pas besoin d’être expliquées. Elles se vivent, simplement, dans un silence lucide, total, plein, entier.

J’ai déjà fait référence au Verbe 4️⃣ à l’origine du monde. Dans Jean 1:1 à Jean 1:5, il est dit, je cite : « 01 AU COMMENCEMENT était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu. 02 Il était au commencement auprès de Dieu. 03 C’est par lui que tout est venu à l’existence, et rien de ce qui s’est fait ne s’est fait sans lui. 04 En lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes ; 05 la lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont pas arrêtée ».

Ce Verbe primordial, me suis-je dit, n’était-il pas davantage un souffle, une énergie qu’une parole ? Une vibration subtile, une essence qui précède la forme, la structure ? Les mots que j’utilise sont des échos imparfaits de cette origine vibrante.

Je suis fasciné par le pouvoir des mots 5️⃣. Ils bâtissent des ponts 6️⃣ entre les Âmes, peignent des visions, gravent des mémoires. Cependant, il est des instants où leur portée s’arrête, où leur mécanique se brise sous le poids de l’infini qu’ils tentent de cerner. Le langage est un filet que je lance dans l’océan de l’existence en sachant que certaines profondeurs lui échappent.

Quand je contemple un ciel étoilé, je peux dire : « Il est beau ». Pourtant cette phrase est insignifiante comparée à l’expérience de l’immensité. Quand je sens une fleur, je peux dire : « Son parfum m’enivre ». Pourtant qu’est-ce qu’être enivrant pour l’un ou pour l’autre. Quand je ressens l’Amour, la perte, la douleur, la Joie, je peux en parler. Pourtant, aucun mot ne peut véritablement contenir l’intensité de ces états. Quand mon Frère Léon « tente » de m’expliquer son expérience du « Plongeon dans le grand Tout », il ne sait pas l’exprimer avec des mots. Même s’il mettait son doigt sur mon front, comme pour me transmettre une image, je ne pourrais pas « comprendre » l’entièreté de son expérience.

Je sais que la poésie, les métaphores peuvent s’en approcher, certes, et, en même temps, elles, aussi, demeurent une esquisse, une tentative. Je sais aussi, comme je l’ai exprimé dans le groupe de paroles des Accords Toltèques, que je peux l’intellectualiser. Cependant, cette intellectualisation n’est pas l’expérience qui est vécue et qui est propre à celle ou celui qui l’a vécue.

L’indicible est cet espace où le langage « échoue », non parce qu’il est faible, simplement parce que ce qu’il cherche à désigner, à exprimer est infiniment plus vaste. Dans cet « échec » apparent, pourtant, réside une porte vers quelque chose de plus vaste comme un silence porteur, un espace de communion sans intermédiaire.

Je me rappelle un jour, dans un monastère (ou était-ce dans une forêt ?), avoir écouté le silence pour la première fois. Non pas l’absence de bruit, simplement un silence vivant, vibrant. Ce silence n’était pas vide. Il était plein de tout ce que je ne pouvais nommer. Chaque pensée, chaque sensation trouvait en lui un écho doux, paisible.

Dans ce silence, je me suis aperçu que l’esprit s’apaise. Les questions que je porte, celles sur le sens de ma Vie, sur ma place dans l’univers, se dissolvent dans une clarté bienveillante. Ce n’est pas que les réponses me sont données, c’est plutôt que la question elle-même perd de son urgence.

C’est ici, me semble-t-il, que réside le triomphe du silence. Il ne prétend pas expliquer ni résoudre. Il embrasse. Il contient. Ce que je cherche « désespérément » à dire, à comprendre, à accepter, trouve dans le silence une reconnaissance.

J’ai récemment vu passer sur mon fil d’actualités des phrases parlant du Divin en termes négatifs. C’est comme si l’on ne pouvait dire que ce qu’Il n’est pas. Il y en a une qui m’a interpellé : « Dieu est une absence de tout ce que nous pouvons penser ». Ce n’est pas un rejet du langage, c’est une reconnaissance de sa finitude face à l’Absolu.

Ce que je ne peux nommer n’est pas un manque, c’est une invitation. C’est un appel à m’approcher sans prétendre posséder, à me tenir dans une ouverture totale, prêt à recevoir ce qui ne peut être capturé.

Le Sacré se manifeste souvent ici où les mots « échouent ». Une musique qui éveille en moi une émotion inexplicable, la lumière d’un coucher de soleil qui semble toucher mon Âme, le regard d’un Être Aimé où tout est dit sans un mot. Ces instants, je les (trans)porte en moi comme des trésors inaltérables, intacts.

Ainsi, apprendre à se taire est, peut-être, l’un des arts les plus difficiles. Je ne parle pas seulement de réduire le bruit extérieur. Je parle de cultiver un silence intérieur. Dans ce silence, je ne cherche pas à remplir, à interpréter, à analyser. Je m’abandonne simplement à TOUT CE QUI EST.

Ce silence est une forme d’écoute. Écouter autant les sons que l’espace entre les sons. Écouter les autres non pas pour répondre, simplement les entendre 7️⃣. Écouter ma Vie, elle-même, dans sa richesse, dans son mystère.

Paradoxalement, ce silence n’est pas une absence de communication. Au contraire, il ouvre un espace où la véritable acceptation peut émerger. Quand je me tais, je permets à l’autre d’être pleinement, totalement, intégralement sans les projections de mes mots, de mes pensées.

Il m’arrive de penser que le silence est notre point commun le plus profond. Peu importe ma culture, ma langue, mon histoire, mes expériences, je partage cette capacité à être en silence devant l’inconnu.

Dans le silence, il n’y a plus de séparation entre le monde et moi. Les frontières que je trace avec mes mots se dissolvent. Je ne suis plus un individu isolé. Je suis une partie d’un tout plus vaste. Le souffle du vent, le murmure de l’eau, le battement de mon Cœur deviennent une seule et même symphonie partagée.

Peut-être est-ce ceci, au fond, que je cherche : « Retrouver cette unité, cet état d’être où rien n’a besoin d’être nommé parce que Tout est pleinement vécu ».

Ainsi, je ne vois plus « l’échec » des mots comme une faiblesse, plutôt comme un cadeau. C’est un rappel que tout ne peut être enfermé dans des concepts, dans des cases, dans des « étiquettes ». C’est une invitation à explorer autrement, à ressentir, à Être.

Ainsi quand les mots « échouent », le silence triomphe. Ce triomphe n’est pas un combat. C’est une reconnaissance que chaque mot pointe vers quelque chose de plus grand que lui-même.

Je m’arrête. Je respire. Je laisse les mots retomber comme des feuilles mortes. Dans cet espace dépouillé, je trouve ce que je cherchais : « Une vérité qui ne peut être dite, seulement habitée ».

Ce texte lui-même, je le sais, est un paradoxe. Il utilise des mots pour parler de l’au-delà des mots, pour esquisser une réalité que je ne peux contenir. Peut-être est-ce ceci le rôle du langage : « Ne pas enfermer. Ouvrir des portes ».

Je laisse donc ces mots, mes mots flotter jusqu’à toi, Lectrice, Lecteur, comme une invitation. Trouve ton silence, celui qui triomphe ici où les mots « échouent ». Peut-être, dans cet espace, te découvriras-tu toi-même, dans une Lumière que rien ne peut obscurcir.

(Mon Essence Spirituelle)
(Michaël « Shichea » RENARD (20250108-2))
(Illustration : Microsoft Designer suivant mes directives)
(Musique lors de l’écriture : The Gardening Club – 2024 – Another Country)

1️⃣ :  Diplômé d’un master de philosophie parcours recherche, Dan Duchateau s’est spécialisé dans la philosophie pratique et existentielle. Inspiré de la physio-psychologie de Nietzsche, son approche repose sur une conviction simple : le bien-être mental et physique sont indissociables. Il propose du contenu pour développer une pensée claire et améliorer sa santé physique sur son site éponyme à son nom (lu sur Amazon) ;

2️⃣ :  Ludwig Josef Johann Wittgenstein, né à Vienne en Autriche le 26 avril 1889 et mort à Cambridge au Royaume-Uni le 29 avril 1951, est un philosophe, mathématicien, ingénieur, pédagogue et architecte de nationalité autrichienne, puis, à partir de 1939, britannique, ayant exploré de manière décisive certains domaines fondamentaux de la connaissance tels que la logique, les fondements des mathématiques et la philosophie du langage (merci Wikepedia) ;

3️⃣ :  voir le texte « Balitude », voir le mot « Mélancologie » dans le texte « Blanc Manger Coco », le mot « Analfabète » dans le texte « Alphabet », le mot « Inchangement » dans « La folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent », le mot « UN-Solitude » dans le texte du même nom ;

4️⃣ :  voir les textes « Au Commencement … », « La Conscience de Dieu » et « Boycott… » ;

5️⃣ :  voir le livre de Jacques Martel : « Le pouvoir des mots… qui me libèrent ! » ;

6️⃣ :  voir le texte « Les mots sont des passerelles, des ponts autant que des gouffres et des abîmes » ;

7️⃣ :  voir le texte « La plupart des gens n’écoutent pas dans l’intention de comprendre, ils écoutent dans l’intention de répondre » (Stephen Corey).

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