Le Regard
Depuis un peu plus de 3 ans, je regarde le monde qui m’entoure avec de nouveaux yeux, une nouvelle vision. Mes yeux physiques n’ont pas changé. Mes récepteurs sont toujours tels qu’ils l’étaient. Par contre, la perception, que mes yeux me renvoient, a changé. Ainsi, qu’est-ce mes yeux me donnent à voir réellement ?
Sont-ils des fenêtres ouvertes sur l’infini ? Sont-ils des miroirs reflétant les murs de mon esprit ? Il y a, en eux, une Lumière que je ne comprends pas toujours même si je la ressens profondément. En fait, elle ne m’appartient pas. Elle est plus grande que moi comme un éclat d’étoile posé sur la fragile structure de l’humain que je suis.
Mes yeux ne sont pas faits pour se détourner, ni pour juger, ni pour ignorer. Ils sont là pour accueillir, pour absorber ce qui dépasse l’entendement. Quand je croise le regard de quelqu’un, je sens, je ressens un dialogue silencieux, une tentative de connexion qui échappe aux mots. C’est comme si, à travers ce simple acte de regarder, quelque chose de sacré se révélait. Emmanuel Lévinas 1️⃣ écrivait que « Le visage est ce qui nous interdit de tuer ». Cette phrase est étrange. Pour moi, un visage est une invitation à reconnaître une Vie, une Âme, un Univers et non une référence à la mort.
Mais alors, pourquoi détournons-nous les yeux si souvent ? Est-ce par peur de ce que nous pourrions voir ou par crainte de ce que cela exigerait de nous ? Je crois que le mépris naît lorsque nous oublions que nos yeux ne sont pas des armes, ce sont des porteurs de Lumière. Ils ne sont pas faits pour juger les contours, ils sont pour percevoir l’Essence même.
Il y a des moments où je sens mon Âme se tendre, comme une corde vibrante, lorsque je croise des regards qui portent des histoires trop lourdes pour être racontées. Une mère qui berce un enfant fatigué, un vieillard assis sur un banc, un étranger qui traverse la rue avec les épaules voûtées. Chacun de ces visages semble murmurer quelque chose, une prière, une peur, un espoir. Et, dans ces instants, mes propres murs tombent. Il n’y a plus de séparation entre Eux et Moi 2️⃣.
Regarder avec AMOUR, c’est une discipline. Ce n’est pas un acte instinctif car les cœurs sont souvent enchaînés par des peurs voilant les yeux. L’Amour n’est pas ni un sentiment facile, ni un confort. Il est un effort, une tension vers l’autre, une ouverture parfois douloureuse. Lorsque je laisse mes yeux exprimer cet Amour, je découvre que l’autre n’est pas un étranger, il est une partie de moi-même que je reconnais enfin.
Il y a des jours, de plus en plus rare, où je me sens perdu.e dans mes propres ténèbres. Dans ces moments-là, mes yeux reflètent une sorte de tristesse. C’est précisément alors que j’apprends leur véritable fonction. Ils ne sont pas là pour m’enfermer dans mes ombres. Ils sont ici pour m’aider à en sortir. En regardant les étoiles, la lumière d’une bougie vacillante ou simplement le sourire d’un.e inconnu.e, je sais que mes yeux sont des portes et non des prisons.
Il m’arrive de fermer les yeux, non pas pour fuir, uniquement pour sentir cette Lumière autrement. C’est étrange, n’est-ce pas, que la clarté la plus vive réside souvent dans l’obscurité intérieure ? Quand je ferme les paupières, je perçois ce que mes yeux ne peuvent voir comme des couleurs, des formes, des mouvements, des lumières qui semblent venir d’un lieu au-delà de moi. Est-ce ceci que les mystiques appellent « Le regard de l’Âme » ?
J’ai lu un jour une phrase de Rainer Maria Rilke 3️⃣ , écrite dans « Lettres à un jeune poète » qui disait : « Et cet amour plus qu’humain […] ressemblera à celui que nous préparons péniblement, non sans lutte, à cet amour qui consiste en ce que deux solitudes se protègent, se bornent et se rendent hommage ». Peut-être est-ce là le rôle de nos yeux : « Être les messagers de cet AMOUR », les ponts entre ces solitudes. Quand je regarde quelqu’un avec attention 4️⃣, avec une véritable ouverture, je sais que quelque chose de plus grand que nous se manifeste. Ce n’est pas simplement un échange, c’est une communion, une commune union.
En même temps, si je ne suis pas à la hauteur de ce regard, il y aura des moments où la colère, la jalousie, l’indifférence peuvent m’emporter dans une vague puissante. Dans ces instants, mes yeux deviennent des murs, des frontières, des juges silencieux. Et pourtant, même alors, je sens une autre possibilité qui m’attend, une autre manière de voir qui pourrait transformer ce moment.
Regarder avec AMOUR ne signifie pas tout accepter, ni nier les douleurs du monde. Cela signifie reconnaître, profondément, que chaque Être a son propre mystère sacré. Lorsque mes yeux croisent ceux de quelqu’un qui souffre, je sens une responsabilité qui dépasse les mots. Non pas de sauver, uniquement « honorer » cette douleur, de ne pas la réduire à une simple image 5️⃣.
Il m’arrive de contempler mon propre reflet et, là encore, je suis confronté.e à cette vérité. Mon visage, ce masque que je porte dans le monde, est-il l’expression de mon Âme ou simplement une façade ? Mes yeux, que disent-ils vraiment ? Sont-ils des fenêtres ouvertes sur mon Être ou des voiles qui cachent ma vulnérabilité ?
Je me souviens d’un jour particulier où j’ai senti la puissance de ce regard transformateur. C’était un matin d’hiver. Je marchais dans une rue bondée. Mon esprit était ailleurs, perdu dans le quotidien, lorsque j’ai croisé le regard d’un sans-abri , assis sur le trottoir, demandant l’aumône. Il n’a pas dit un mot. Ses yeux ont traversé les murs de mon indifférence comme une flèche. Dans ce regard, j’ai vu une dignité, une humanité qui m’ont rappelé ma propre fragilité.
À cet instant, quelque chose a changé en moi. Oh ! Ce n’était pas une révélation spectaculaire, simplement une prise de conscience subtile. J’avais le choix. Je pouvais détourner les yeux ou je pouvais m’arrêter, regarder, rencontrer et reconnaître. J’ai choisi de m’arrêter et de déposer une pièce dans sa sébile 6️⃣. « Toute vie véritable est rencontre » disait Martin Buber 7️⃣.
Nos yeux sont faits pour exprimer le visage de l’AMOUR. Cet AMOUR n’est pas un sentiment passager, c’est une force qui transforme. Il s’efforce de sortir de nos Âmes, de briser les chaînes de nos peurs pour se manifester dans le monde. C’est un AMOUR qui ne juge pas, qui ne possède pas, il éclaire.
Quand je pense à ceci, je ressens une gratitude profonde pour ce cadeau, ce présent que chacun.e a reçu. Les yeux, bien qu’imparfaits, sont des instruments d’une immense puissance. Ils peuvent autant blesser que guérir, autant rire que pleurer, autant diviser qu’unir.
Je ne sais pas si je serai toujours capable de regarder avec cet AMOUR car je reste humain, vulnérable et sujet à mes propres ombres. Cependant, je sais, que chaque fois, que je choisis de voir au-delà des apparences, chaque fois que je laisse mes yeux être les messagers de ma Lumière Intérieure, je participe à partager cette Lumière.
Dans le regard, il y a une vérité qui ne peut être dite, par contre, elle peut être ressentie. Une vérité qui transcende les mots et les gestes, une vérité qui est l’Essence même de l’Amour. C’est cette vérité que je veux continuer à cultiver, à exprimer, à transmettre, à partager. Car, en fin de compte, n’est-ce pas ceci, le sens de notre présence ici : « Apprendre à Voir, à AIMER, à Illuminer le Monde avec le regard de notre Âme ? ».
(Mon Essence Spirituelle)
(Michaël « Shichea » RENARD (20241213-1))
(Illustration : Microsoft Designer suivant mes directives)
(Musique lors de l’écriture : Johnson’s Bridge – 2024 – Always)
1️⃣ : Emmanuel Levinas, né le 30 décembre 1905 à Kaunas et mort le 25 décembre 1995 à Clichy, est un philosophe d’origine lituanienne naturalisé français en 1931. Il a reçu dès son enfance une éducation juive traditionnelle, principalement axée sur la Torah ;
2️⃣ : voir le texte « L’Empathie » ;
3️⃣ : Rainer Maria Rilke, né le 4 décembre 1875 à Prague en Bohème et mort le 29 décembre 1926 à Glion près de Montreux, est un écrivain autrichien ;
4️⃣ : voir le texte « Attention ! Attention ! Vous avez dit Attention ! » ;
5️⃣ : voir le texte « L’Empathie » ;
6️⃣ : voir le texte « Sébile » ;
7️⃣ : Martin Buber, né le 8 février 1878 à Vienne et mort le 13 juin 1965 à Jérusalem, est un philosophe, conteur et pédagogue israélien et autrichien.

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