Se Connaître et S’Oublier
Dans le texte « Qu’est-ce que la connaissance ? », je faisais référence à un interview de Sylvain du Boullay 1️⃣. J’avais repris un extrait disant : « Aujourd’hui nous vivons dans un monde où les connaissances sont foisonnantes mais aussi et surtout, ne sont plus réservées aux esprits scientifiques qui contribuent à les produire et sont devenues facilement accessibles au plus grand nombre ».
J’expliciterai plus loin dans le texte, ce qui me fait revenir à la « Connaissance » ? Ainsi, Je me suis demandé : « À quoi me sert-il de connaître tant de choses ? ». Serait-ce pour maîtriser des définitions, des concepts, de classer, d’ordonner, d’étiqueter le monde et ses manifestations ?. Serait-ce pour étaler mes connaissances comme la confiture sur une tartine ? 2️⃣
Pendant mes études primaires, secondaires, universitaires, j’ai appris beaucoup de choses dans différents domaines. Avant mes études d’ingénieur, venant d’une école technique, j’ai fait une « spéciale math » 3️⃣ pour me mettre à niveau. Pourtant, malgré cette accumulation de savoirs, je sens au fond de moi comme une absence, un vide que ces définitions, ces concepts ne remplissent pas. Pourquoi ce vide persiste-t-il ? Est-ce parce que je cherche à comprendre tout ce qui est extérieur à moi sans jamais m’interroger sur ce que je suis ?
Je constate que j’oublie certains évènements de ma Vie. Certain.e.s me diront que c’est l’âge, d’autres me diront que c’est la fatigue et que sais-je d’autres. D’une certaine façon, c’est normal que je ne retienne pas tout. Je n’ai pas une mémoire eidétique. Dans certaines séries télévisées, des personnes ont cette faculté de mémoire eidétique, appelée aussi mémoire absolue, mémoire photographique. Cette mémoire est la capacité à retenir des scènes très complexes, des sons, des images en grande quantité et, ce, dans les moindres détails.
Peut-être que ces oublis, chez moi, permettent de faire de la place pour autre chose. Parfois, c’est comme si je courrais après des ombres. Je poursuis des mots, des concepts, des souvenirs et je les collectionne comme des coquillages vides. Ces coquillages ne contiennent plus l’écho de la mer. Ils sont là, beaux, bien définis, finement ciselés, pourtant ils ne vibrent plus. Ils sont « morts » car je n’ai pas regardé au-delà d’eux, là où réside ce qui ne peut être défini. Alors une question surgit, puissante, implacable : « Qui suis-je ? ». Je sais que j’ai déjà beaucoup écrit sur cette question. Cependant, ici, je ne parle pas de définitions, d’étiquettes, de mémoires. Je parle d’une dimension au-delà des mots, d’une dimension où les mots échouent.
Je sais que je vis dans un monde où tout semble devoir être nommé, analysé, catégorisé, étiqueté. C’est une habitude ancienne que donner un nom aux choses. Ainsi, en le faisant, c’est croire, quelque part, que je les possède. Est-ce bien vrai ? Quand je contemple une rose, la connaissance de son nom, de son espèce m’empêche, parfois, de la voir vraiment. Je reste en surface. Je décris sans ressentir. Je reste dans le cadre du connu, incapable de toucher à l’inconnu qu’elle porte en elle.
Beaucoup de personnes cite Rûmî en disant : « Pourquoi restes-tu dans la prison alors que la porte est grande ouverte ? ». Ce que Rûmî a dit, c’est : « Sois vide de tout soucis, pense à qui créa la pensée ! Pourquoi rester en prison. La porte est grande ouverte ! Sors du labyrinthe des peurs. Vis en silence ». Cette porte, c’est celle du silence intérieur, celui où la pensée s’arrête, où la réalité se révèle dans toute sa nudité 4️⃣. Pourtant moi, à certains moments, en tant que prisonnier de mes définitions, je préfère souvent tourner en rond dans ma cellule, la décorer de concepts, plutôt que de sortir, affronter ce qui m’attend dehors. Parfois, être prisonnier, ceci peut se révéler « confortable ».
Je sais que les définitions, les citations, les maximes, ne sont que des fuites. Même écrire ce que j’écris en ce moment, je peux le considérer comme une fuite. Je trouve même étrange de l’avoir écrit. En fait, c’est une manière de détourner mon regard de la question essentielle : « Qui suis-je ? ». Je tente de répondre, les mots me viennent : « Je suis ceci, je suis cela. Je suis mon nom, ma profession, mes souvenirs, mes rêves ». Est-ce vraiment moi ? Si j’efface tout ceci, que reste-t-il ?
Comme je l’ai spécifié dans le début du présent texte, je vais expliciter ce qui m’a fait revenir à cette notion de « Connaissance ». J’ai lu des phrases de Rûmi (encore lui) qui disait : « À supposer que tu connaisses les définitions de toutes les substances et accidents, à quoi cela te servira-t-il ? Connais la véritable définition de toi-même, cela, c’est indispensable. Et quand tu connais la définition de toi-même, enfuis-toi loin de cette définition, afin de parvenir à celui qui n’a point de définition … ».
Ce sont ces phrases qui ont donné le titre du présent texte. Se Connaître et S’Oublier. Qu’est-ce que ceci veut bien vouloir dire ? Ce serait comme si j’étais couché sur une feuille de papier et qu’une gomme passait au-dessus de moi. Ce serait comme si j’étais un miroir qui s’est oublié lui-même, perdu dans les reflets qu’il contient. Je sais que je me suis identifié à mes pensées, à mes émotions, à mes rôles. Pourtant, ces éléments, ces choses ne sont-elles pas comme des nuages qui passent dans le ciel ? Et moi, suis-je le nuage ou le ciel ?
Comme j’apprécie les métaphores, en voici une qu’il me semble déjà avoir « utilisé ». J’imagine une graine. Elle contient, en elle, la promesse d’un arbre. Pour que l’arbre puisse naître, la graine doit mourir. Peut-être que cette quête de définition de soi est semblable. Je dois d’abord me dissoudre, abandonner mes vieilles façons de me concevoir, pour accéder à une vérité plus profonde. Oui ! Oui mais cette vérité, pourra-t-elle être saisie par les mots ?
Quand, enfin, je touche cette vérité intérieure, une autre étape se présente, je dois m’enfuir loin de cette définition. Ce paradoxe me déstabilise. Pourquoi fuir ce que j’ai si longuement cherché ? Et puis, un flash, une lumière éclaire pour me montrer que toute définition, même intérieure, est une limite. Si je dis : « Je Suis ceci », je m’enferme dans un contour, je me fixe dans une forme. Or, comme je l’ai déjà souvent écrit, la vie, elle, est mouvement, infinie, insaisissable.
Lâcher prise sur cette définition, c’est abandonner tout ce que je crois être. C’est me jeter dans le vide, dans l’inconnu. C’est aussi être au bord d’une falaise et de me dire : « Est-ce que je saute ou est-ce que je m’envole ? ». N’est-ce pas ceci le véritable courage ? Aller là où les mots ne peuvent plus suivre, là où l’Être se révèle dans sa nudité la plus totale. Maître Echkart disait dans « Il n’est pas nécessaire de savoir cela » que : « C’est pourquoi je prie Dieu d’être libre de dieu car mon être essentiel est au-delà de Dieu en tant que Dieu des créatures ». Peut-être que ce « Dieu » dont il parle, c’est cette image définie de soi, cette idée fixe que je m’en fais.
Alors, je m’avance. Je quitte les rivages sûrs de ma propre conception pour plonger dans une mer infinie. Je sais que ce que je cherchais n’est pas quelque chose à définir, c’est quelque chose à expérimenter. Une présence silencieuse, vaste, comme un désert infini ou une nuit étoilée.
Dans ce silence, il n’y a plus de « Moi » comme je l’entendais auparavant. Il n’y a plus de nom, plus de forme. Il n’y a qu’un Être, pur, sans limites, sans contours. C’est autant une paix profonde qu’une sorte de vertige. Je sais que je ne peux pas posséder cette expérience, je ne peux qu’y Être.
Les mots me manquent pour décrire cet état. Je sais, maintenant, pourquoi, dans mes textes de cette année, je parle de silence. Je sais le silence n’est pas vide. Il est plein de ce que les mots ne peuvent contenir. Je suis comme une goutte d’eau qui, tombant dans l’océan, devient l’océan lui-même.
Une question se pose : « Et maintenant ? ». Maintenant, je vis avec cette vérité : « Je ne peux être défini ». Aucun mot, aucun concept ne peut me contenir. Je Suis, simplement. Et cette simplicité est une source de Joie inépuisable. Je n’ai plus besoin de courir après des définitions, des certitudes. Je peux rester dans le mystère, dans l’indéfinissable, et c’est ici que je me sens vivant.
Rûmî (oui, encore lui) disait : « Vous n’êtes pas une goutte dans l’océan. Vous êtes l’océan tout entier dans une goutte d’eau ». Cette phrase résonne différemment maintenant. Je l’accepte avec le Cœur, et non plus avec l’intellect. Je ne suis pas quelque chose à définir, je suis quelque chose à Vivre, à Expérimenter, à Être.
Alors, je marche dans le monde, je ne suis plus du monde. Je contemple les formes, je ne m’y attache plus. Je vois les mots, je n’oublie pas le silence qu’ils tentent de décrire. Et surtout, je me souviens que ce que je cherche, ce que nous cherchons tous, n’a pas de définition. Et c’est justement dans cette absence de définition qui nous définit.
En fait, Se Connaître et S’Oublier, c’est se Désidentifier du Personnage.
(à suivre ?)
(Mon Essence Spirituelle)
(Michaël « Shichea » RENARD (20250124-1))
(Illustration : Flux (Pro) suivant mes directives)
(Musique lors de l’écriture : Sailor Free – 2012 – Spiritual Revolution)
1️⃣ : Sylvain THILLAYE DU BOULLAY (1940 – 2020) a été un auteur, conférencier, accompagnateur et animateur de séminaires de développement personnel en France et à l’étranger. À partir de 1986, son chemin fait de multiples expériences très pratiques et variées l’a conduit à vivre encore plus concrètement les enseignements non duels et la connaissance de soi-même. Il a participé à la traduction, en français, du « Cours En Miracles », il a écrit, notamment, un livre intitulé « Au-delà d’un Cours en Miracles » avec Phoebe Lauren ;
2️⃣ : « La culture, c’est comme la confiture, moins on en a, plus on l’étale » (Françoise Sagan) ;
3️⃣ : voir le texte « Testament » ;
4️⃣ : voir le texte « Nu ! ».

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