Dans la Brume
Chaque matin où elle s’élève, la brume enveloppe l’horizon de son mystère. Elle est partout, suspendue dans l’air, insaisissable et, pourtant, je la ressens comme une présence dense presque palpable. Où que je pose mon regard, elle est autour de moi. Elle filtre la lumière, elle dissimule les contours du monde comme si elle cherchait à protéger quelque chose de trop fragile pour être exposé. À travers elle, la vue vacille, tout ce qui semblait familier devient incertain.
Dans la brume, les pas sont hésitants. Je ne vois plus clairement ce qui m’attend, ce qui était offert aussi bien à ma vue qu’à mes sens. Pourtant dans cet effacement des formes, il y a la possibilité d’un nouveau regard. Les arbres, dont les branches se fondent dans le gris, ne sont plus des arbres. Ils deviennent des silhouettes anonymes, libres de toute définition.
Tout devient comme des silhouettes anonymes, libres de toute définition. Tout devient des inattendus même si, en fermant les yeux, je retrouve le paysage. Une retrouvaille sans tous les détails, uniquement les grandes lignes. Et moi, à travers ces contours, ces ombres étranges, je deviens aussi une silhouette floue, détachée de l’image fixe que les autres connaissent de moi.
En hiver, lorsque la brume se transforme en brouillard givrant, la nature se pare d’un manteau blanc presqu’immaculé. Les plantations dans mon jardin semblent s’être endormies dans un froid glacial. Certains matins, elles ne sont pas entièrement recouvertes de givre, elles le sont partiellement en fonction de l’orientation du front froid. C’est un spectacle étrange de voir une partie figée, gelée et une autre, semblant, vivante. C’est un peu comme une séparation subtile entre le blanc et le gris, entre la mort qui endort et la vie qui se réveille.
Il y a des jours où la brume ne se lève pas. Elle reste, tenace, comme si elle voulait endormir le monde, comme si elle voulait tenir, quelque chose, à l’écart d’un autre monde. Ainsi, serait-ce moi qui la retient ? Peut-être que cette brume n’est pas un obstacle extérieur, qu’elle est, plutôt, un miroir de mon esprit. Quand mes pensées se troublent, quand mes doutes me saisissent, c’est comme si elle s’intensifiait rendant tout encore plus flou. La brume ne serait-elle pas, au fond, une manifestation de mon propre brouillard intérieur ? Elle me parle de tout ce que je refuse d’affronter, de tout ce que je garde enfoui sous des couches d’apparences.
Chaque fois qu’elle m’envahit, je sens un écho profond. C’est comme si elle me rappelait une autre brume, plus intime, plus ancienne. Celle-là ne s’élève pas du sol humide après une nuit froide. Elle naît de mes doutes, de mes questions. Elle est l’ombre d’une vérité que je ne parviens pas à saisir, l’expression d’un combat intérieur entre ce que je sais et ce que je crois ignorer.
Je me demande, parfois, si la brume vient pour m’égarer ou pour me guider. Lorsque je la traverse, un sentiment contradictoire m’habite. D’un côté, la peur de me perdre, de l’autre, l’étrange désir de ne plus me retrouver. Je réalise que c’est, peut-être, parfois nécessaire d’accepter de se perdre pour réellement se (re)découvrir.
La brume, tout autant qu’elle cache, elle révèle aussi. N’est-ce pas dans ce voile que l’essence des choses se trouve ? Lorsque je ne peux plus me fier à mes yeux, c’est mon autre regard qui s’éveille, celui qui voit au-delà des formes, des apparences, du personnage. Cet autre regard qui devine ce qui ne peut être touché. Dans cette incertitude imposée, je suis forcé de m’arrêter, d’écouter, de ressentir. Écouter le silence de la brume, ce silence qui n’est pas absence. Dans ce silence, je ressens une présence, comme un murmure oublié, qui me parle de tout ce que je ne vois pas.
« Adieu, dit le renard. Voici mon secret. Il est très simple : on ne voit bien qu’avec le Cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux ». Ces mots d’Antoine de Saint-Exupéry me reviennent souvent lorsque je me tiens dans la brume. Ils m’invitent à dépasser l’angoisse de ne pas voir clairement. Ils m’invitent à accepter que la clarté ne se trouve pas toujours dans la lumière. Elle est, parfois, dans l’ombre, dans l’indéfinissable, dans le flou. Peut-être que la brume n’est pas ici pour me cacher le monde. Peut-être qu’elle est ici pour le regarder autrement.
Je ne peux pas accélérer la dissipation de la brume, tout comme je ne peux pas précipiter la fin de mes questionnements. Elle se lève à son propre rythme, souvent, quand je ne m’y attends pas. Parfois, elle s’éclaircit, doucement, laissant entrevoir des formes familières. D’autres fois, elle disparaît d’un coup, balayée par un souffle de vent. Chaque fois qu’elle se retire, elle me laisse changé. Je n’en ressors jamais tout à fait le même.
Pourtant, je sais que la brume reviendra, peut-être, moins dense, plus légère. Elle est une compagne fidèle, une alliée silencieuse qui m’invite à ralentir, à ressentir, à réfléchir, à accepter. Elle est mon passage obligé entre l’ignorance et l’acceptation. Car, dans ma brume, je ne peux plus prétendre savoir. Je suis nu, devant l’inconnu, face à ce qui dépasse mon entendement.
Dans ces moments, je me rends compte que la brume est un appel. Elle m’invite à descendre plus profondément en moi, à explorer mes zones d’ombre, à questionner ce que je tiens pour acquis. Elle me rappelle que la conquête de clarté est un chemin. Que je ne dois pas craindre de ne pas tout comprendre, simplement que je dois apprendre à habiter, à accepter cet état d’incertitude, à le laisser me transformer.
La brume, qu’elle soit dans l’air ou dans mon esprit, n’est pas un ennemi. Elle est une amie exigeante qui refuse de me laisser m’endormir dans mes certitudes. Elle me pousse à ouvrir les yeux autrement, à écouter ce que je ne voulais pas entendre, à accueillir l’inconnu, l’inattendu avec confiance.
Et ainsi, chaque fois que je me tiens dans la brume, je me rappelle que ce voile n’est pas une fin, c’est un commencement. La Lumière, qui perce à travers, elle ne m’apporte pas de réponses définitives, elle éclaire des chemins que je n’avais pas remarqués, des formes que je croyais connaître. Ainsi, je marche, avec plus d’humilité, conscient que ce que je cherche ne se trouve pas nécessairement dans la clarté immédiate, elle est parfois dans le flou même, dans cet espace où tout est encore possible.
Dans la brume, je ne suis plus perdu. Je Suis en chemin.
Adieu, dis-je, en Oeuvrant mon Cœur, Tout devient Visible.
(Mon Essence Spirituelle)
(Michaël « Shichea » RENARD (20250118-1))
(Illustration : Flux (Pro) suivant mes directives)
(Musique lors de l’écriture : Cycle of Infinity – 2025 – Wisdom of the Ages)

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