Le plus sûr de l’avenir, c’est qu’il n’aura rien de ce que nous tenons pour sûr.
Cette phrase, cette citation de l’écrivant belge Armel Job 1️⃣. Elle était le titre d’un article paru dans différents journaux régionaux. Cette phrase peut paraître étrange à première vue. Pourtant elle est, comme l’on dit, faite de bon sens.
Je sais que des personnes ont voyagé dans un avenir via différentes techniques, différents outils, différentes méthodes. J’ai bien écrit « un avenir » et non « l’avenir ». Car, bien malin, qui pourrait dire ce qu’est l’avenir. Pour moi, l’avenir est un territoire inconnu que je ne peux qu’effleurer avec mon imagination. Pourtant, la seule certitude qui s’y rattache, c’est qu’il échappe à toute prédiction solide, qu’il se « moque » de mes attentes, qu’il défie mes plans les plus élaborés.
J’ai longtemps cherché à saisir l’avenir, à l’enfermer dans des cadres que je pensais immuables. « Gouverner, c’est prévoir. Ne rien prévoir, c’est courir à sa perte » disait Émile de Girardin 2️⃣. Mais la vie, dans sa sagesse implacable, m’a appris que prévoir ne signifie pas comprendre. J’ai accepté, au fil des années, que la certitude est une illusion, un voile que l’esprit tisse pour se rassurer face à l’inconnu. Chaque moment où j’ai cru tenir quelque chose pour sûr s’est transformé, tôt ou tard, en une leçon d’humilité. Comme disait Héraclite d’Ephèse 3️⃣ : « Rien n’est permanent, sauf le changement ». Et même le changement, dans sa nature imprévisible, reste une énigme.
Je regarde le monde autour de moi et je réalise combien nous, les humains, sommes enclins à nous accrocher à nos certitudes. Nous bâtissons des empires sur des fondations que nous croyons éternelles. Nous érigeons des institutions, des dogmes, des vérités que nous estimons incontestables. Et pourtant, l’histoire regorge de vestiges de ces mêmes certitudes brisées, de civilisations disparues, de vérités révisées. Je me demande alors pourquoi cette insistance à vouloir maîtriser ce qui, par essence, ne peut l’être ?
L’avenir est comme un fleuve. On peut tracer une carte de ses méandres, estimer la force de son courant, prédire où il pourrait s’élargir. Mais on ne peut jamais contrôler ses crues ni anticiper ses changements de lit. « Une carte n’est pas le territoire » écrivait Alfred Korzybski 4️⃣. Ce que je tiens pour sûr aujourd’hui n’est qu’un instantané d’une réalité en mouvement, une tentative de capturer l’insaisissable.
J’ai souvent médité sur cette quête humaine de la certitude. À mes yeux, elle reflète la peur de l’impermanence. JE sais, au plus profond de moi-même, que tout ce que j’aime, tout ce que je possède, tout ce que je suis est éphémère. Mais cette vérité, bien qu’inévitable, est difficile à accepter. Alors je bâtis des systèmes de croyances, des récits, des prédictions. Je me raccroche à des calendriers, des prévisions météorologiques, des modèles économiques comme si ces outils pouvaient me protéger.
Et pourtant, il y a dans cette incertitude une beauté incommensurable. Lorsque je lâche prise, lorsque je cesse de lutter contre l’imprévisible, je me rends compte que c’est précisément cette impermanence qui donne sa profondeur à mon existence. Si tout était sûr, immuable, prévisible, quelle place resterait-il pour l’émerveillement 5️⃣ ? Le fait que demain puisse déjouer toutes mes attentes me force à vivre pleinement aujourd’hui, à accueillir chaque instant comme un cadeau unique.
Je repense souvent à une phrase attribuée au poète Rainer Maria Rilke 6️⃣ : « Vivez maintenant les questions. Peut-être en viendrez-vous à vivre, peu à peu, sans vous en rendre compte, un jour lointain, l’entrée dans la réponse ». Cette idée m’a profondément marqué. Plutôt que de chercher à résoudre l’énigme de l’avenir, pourquoi ne pas embrasser l’incertitude comme une opportunité d’exploration ? Pourquoi ne pas voir chaque détour inattendu comme une invitation à grandir, à apprendre, à m’émerveiller ?
Je me souviens d’un jour où la vie m’a donné une leçon brutale sur cette vérité. J’avais tout planifié, tout anticipé, persuadé que ma route était tracée. Et puis, sans prévenir, tout s’est écroulé. J’ai ressenti une profonde douleur, une perte de repères, un vertige. Mais c’est dans cet effondrement que j’ai découvert quelque chose de précieux, c’est une liberté que je n’aurais jamais soupçonnée. Lorsque mes certitudes se sont évanouies, j’ai été « contraint » de regarder au-delà de mes limites, d’explorer des chemins que je n’aurais jamais osé emprunter. L’incertitude est devenue une alliée, une compagne de voyage.
Je contemple souvent la Nature, je regarde les cycles des saisons, les mouvements des astres, le flux et le reflux des marées. Tout est changement et, pourtant, tout est harmonie. La Nature ne cherche pas à figer le temps. Elle accepte l’impermanence comme une évidence, comme une loi fondamentale de l’existence. Pourquoi en serait-il autrement pour moi, Êtres Humain ?
Marc Aurèle dans ses « Pensées pour moi-même » disait : « Ne te trouble pas en te représentant l’ensemble de ta vie. Ne considère pas combien de peines et combien lourdes te surviendront probablement ; mais, à propos de chacun des événements présents, demande-toi : Qu’y a-t-il d’insupportable, [d’intolérable] dans ce que je fais ? Tu rougiras de le confesser. Rappelle-toi ensuite que ni l’avenir ni le passé ne pèsent sur toi, mais seulement le présent. Or, il se rapetisse de plus en plus, si tu le réduis à sa vraie mesure, et si tu fais honte à ta pensée de ne pouvoir résister à ce rien ».
En d’autres termes, je n’ai pas à me troubler, à l’avance, de la représentation de l’avenir qu’il soit fait de bonheurs ou de malheurs de quelle que soit leur nature. L’incertitude ne doit pas être source d’angoisse, plutôt une occasion de cultiver la résilience, la patience, l’humilité. Je ne peux pas contrôler l’avenir, par contre, je peux toujours choisir comment y répondre.
Ainsi, je ne me surprends plus à voir l’avenir comme un obstacle, je le vois comme une toile blanche. Chaque jour, je m’efforce d’y peindre avec les couleurs que m’offre le présent sans m’attacher au résultat. C’est un exercice difficile, car mon esprit, comme celui de tout Être humain, est constamment attiré par le besoin de planifier, de prévoir, de sécuriser. Cependant, chaque fois que je parviens à relâcher cette emprise, je ressens une Paix profonde, une Joie qui naît de la confiance dans le mystère.
Il ne s’agit pas d’abandonner toute intention, de vivre dans une forme de désinvolture. Non, il s’agit plutôt de danser avec l’inconnu, de trouver un équilibre entre mes aspirations et l’acceptation de ce que je ne peux pas contrôler. Dans Jean 12:25, il est « Qui s’attache à son existence la perd et qui ne s’attache pas à son existence, en ce monde, la gardera en vie éternelle ».
Alors, je choisis de ne plus craindre l’avenir. Je choisis de ne plus m’y accrocher comme à une certitude. Je préfère accueillir l’incertitude comme un.e ami.e qui me pousse à rester éveillé, à rester curieux, à rester vivant. Le plus sûr de l’avenir, c’est qu’il n’aura rien de ce que je tiens pour sûr. Et c’est dans cette vérité, aussi déroutante qu’elle puisse paraître, que réside la plus grande leçon de sagesse.
(Mon Essence Spirituelle)
(Michaël « Shichea »RENARD (20241225-2 & 20241226-6))
(Illustration : Microsoft Designer suivant mes directives)
(Musique lors de l’écriture : Velvetic – 2024 – Ephemeris)
1️⃣ : Armel Job est un écrivain belge de langue française né le 24 juin 1948 à Heyd, ancien directeur de l’Institut Notre Dame Séminaire de Bastogne (Merci Wikipedia) ;
2️⃣ : Émile de Girardin, né Émile Delamothe le 21 juin 1802 à Paris où il est mort le 27 avril 1881, est un journaliste, homme d’affaires et homme politique français (merci Wikipedia) ;
3️⃣ : Héraclite d’Éphèse est un des principaux philosophes grecs dits présocratiques. Nous ne savons presque rien de sa vie, sinon qu’il vécut à Éphèse vers 500 av. J.-C., et ne connaissons sa philosophie qu’à travers les auteurs anciens qui, du IVe siècle av. J.-C. jusqu’à la fin de l’Antiquité, l’ont cité et notamment les plus éminents d’entre eux, Platon, Aristote, Lucrèce, Sénèque, Plutarque, Sextus Empiricus, Marc-Aurèle, Diogène Laërce, Plotin et d’autres (merci Wikipedia) ;
4️⃣ : Alfred Korzybski est un philosophe et scientifique américano-polonais. Korzybski était à l’origine ingénieur et expert des services de renseignements. Il oriente ensuite ses travaux vers le domaine des sciences humaines (merci Wikipedia) ;
5️⃣ : voir le texte « L’Émerveillement » ;
6️⃣ : Rainer Maria Rilke, né le 4 décembre 1875 à Prague en Bohème et mort le 29 décembre 1926 à Glion près de Montreux, est un écrivain autrichien.

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