Hybris
(note après relecture et publication : Petite surprise du 1er jour suivant le début du printemps. Qui plus est, je viens de regarder l’épisode final de la saison 2 de Severance 1️⃣. Le tout, l’un dans l’autre, arrive bien à propos. Et si un jour, vous regardez cette série, je vous laisse découvrir La Ballade d’Ambrose et Gunnel).
J’ai déjà repris cette image, cette métaphore d’être un funambule 2️⃣ suspendu entre Ciel et Terre. Sous mes pieds, un fil tendu m’offre une voie étroite. En « haut », l’infini céleste qui m’appelle. En « bas », la densité du monde qui m’ancre. Chaque pas est fait entre deux forces « complémentaires ».
Si je me laisse enivrer par la hauteur, croyant pouvoir m’affranchir des lois de l’équilibre, je chute. Si, par peur, je me raidis, me crispe, refusant l’élan nécessaire à l’avancée, je tombe aussi. Tel est ainsi, la conquête spirituelle, un chemin de tempérance où l’orgueil d’une ascension trop rapide et la pesanteur d’une prudence excessive sont les écueils d’une même chute.
Avant d’aller plus loin, dans le présent texte, il m’est nécessaire de préciser ce que désigne le terme « Hybris ». J’aurai pu l’intituler aussi « Hubris » car ces deux mots ont la même signification. J’ai opté pour « Hybris » car il me rappelle le mot « hybride ». En effet, d’une certaine façon, je suis sur cette terre, un « hybride », un personnage autant Humain que divin.
Chez les Grecs anciens, « hybris » signifie la démesure, l’orgueil inacceptable de la part d’un mortel. Toute prétention à une supériorité insolente parmi les hommes doit donc entraîner une punition cruelle de la part des dieux immortels (merci Wikipedia). À l’époque actuelle, l’hybris représente plus une confiance excessive en soi pouvant mener à des comportements inadéquats voire à des « erreurs » fatales.
Ainsi, à vouloir trop embrasser la Lumière sans mesure, je deviens un aveugle qui se croit voyant. J’ai découvert en lisant différents textes, différentes revues que l’hybris, en spiritualité, est cette prétention à détenir la vérité ultime. Il représente ce désir d’absolu qui méprise tout ce qui n’est pas lui. Ceci me rappelle la chute d’Icare, monté trop haut, ignorant les avertissements. Son orgueil a été sa perte. Ce n’est pas la hauteur, elle-même, qui l’a mis en danger, c’est son excès de confiance qui lui a fait oublier la nature de ses ailes.
En fait, l’hybris est aussi subtile qu’un doux poison. Elle se glisse dans les pensées quand quelqu’un juge les autres comme « inférieurs » parce qu’ils ne suivent pas leur voie, quand quelqu’un pense avoir dépassé le commun des mortels. Combien de gourous, de prédicateurs, de maîtres dits « spirituels » ont cette prétention ? Beaucoup (et je sais que c’est un jugement).
Toute spiritualité, quelle qu’elle soit, qui méprise l’Humain devient une prison dorée. Si Bouddha, lui-même, a choisi la voie du milieu, c’est parce qu’il a compris que son excès, dans l’abstinence, le menait vers la mort et non vers la sagesse.
J’ai constaté que, trop souvent, l’aspiration à l’élévation devient une négation du monde, de la matière. Certain·e·s rejettent le corps, le désir, le quotidien, croyant que le sacré ne se trouve que dans l’abstraction. Pourtant, le vent souffle sur la terre, le soleil réchauffe le Cœur et le corps. L’illumination, qui est souvent « vendue » comme un Graal, ne descend pas d’un ciel désert. Elle s’ancre dans la Vie elle-même. Elle est comme la pluie qui s’immisce dans le moindre interstice. Elle est comme le rayon de lumière pointant à travers une infime fêlure. Qui se croit déjà au sommet n’apprend plus. Qui n’apprend plus se condamne à l’illusion.
Cependant, il existe un autre piège. Comme tout piège, il est souvent bien caché. Il attend sa « victime » pour mieux l’enserrer, la contrôler voire la capturer. Il est redoutable car il représente l’immobilité née de la peur. Si l’hybris est l’excès d’élan, l’abandon à la matière est l’absence d’élévation. C’est croire que l’homme est sans aspiration. Que seul compte ce qui est tangible, mesurable, quantifiable. C’est l’oubli du regard levé vers le ciel, la réduction de l’être à ses instincts.
La crainte de la transcendance enferme autant que son excès. Celle ou celui qui refuse toute quête intérieure, par peur de l’inconnu, s’attache, souvent, à ses chaînes comme à des certitudes rassurantes. Ne pas croire en l’invisible ne signifie pas être libre. Ceci peut être une autre forme d’aveuglement qui est celle du refus de voir plus grand que soi. La matière est un socle, une base, une ancre et non une fin. Il ne s’agit pas de la rejeter, ni de s’y dissoudre, simplement d’y inscrire le mouvement d’un pas conscient, d’un pas sage.
J’entends la question : « Que faire ? ». La clé, à mon sens, est la tempérance. Dit d’une autre façon, ce n’est ni la fuite vers le ciel, ni l’enfermement dans la matière. Héraclite d’Ephèse, que j’ai déjà cité, disait que « Parmi les choses répandues au hasard, le plus beau : le cosmos. L’harmonie invisible plus belle que la visible. Nature aime se cacher ».
L’harmonie invisible dont parle Héraclite d’Ephèse, c’est la tempérance, cet art de maintenir l’équilibre sans jamais se figer. Le monde est un tissage subtil d’opposés, un dialogue permanent entre le « haut » et le « bas », l’ombre et la lumière, la matière et l’esprit. La tempérance consiste à accepter cette dualité.
Lorsque je veux mépriser le monde, pensant qu’il m’enchaîne, je me rappelle que c’est en posant mes pieds sur le sol que je peux avancer. Lorsque je me sens écrasé par le poids du quotidien, je lève les yeux et me rappelle que le ciel est mon horizon. L’un ne va pas sans l’autre. Les lois fondamentales du monde, bien que discrètes, subtiles, sont plus essentielles, profondes que les apparences. La réalité est en perpétuel mouvement et il est nécessaire d’aller au-delà des évidences.
Ainsi, sur mon fil de funambule, j’apprends à cheminer sans précipitation, à laisser chaque pas trouver sa juste place. La spiritualité n’est pas une conquête comme je l’ai longtemps cru, c’est une présence. Une présence à Soi. Ce n’est pas dominer le Ciel, ni s’y fondre, uniquement reconnaître qu’il est en Moi autant que la Terre l’est. La Lumière n’est pas un sommet à atteindre, elle est dans la marche elle-même, sur ce fil que je foule avec ma justesse. L’humilité est mon guide.
Ainsi, mon équilibre n’est pas une posture figée. Je ne suis pas une statue sculptée dans le marbre. Mon équilibre est une oscillation entre la gravité (attraction terrestre) et l’élévation (attraction divine). Mon équilibre est un dialogue continuel entre le « haut » et le « bas ». Si je tends trop vers l’un, je perds l’autre. Si j’accepte leur complémentarité, je deviens ce funambule qui, sans jamais s’arrêter, avance vers l’infini.
(Mon Essence Spirituelle)
(Michaël « Shichea » RENARD (20250322-1))
(Illustration : Flux (Pro) suivant mes directives)
(Musique lors de l’écriture : Le Silence entre la Nuit et le Jour)
1️⃣ : voir le texte « Gråkappan » ;
2️⃣ : voir les textes « La Métamorphose », « Est-ce que ce monde est sérieux ? », « Le fil de la vie ».

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