La Stratégie du Fou
Je me souviens, dans mes premiers textes, que j’avais fait référence à l’image d’un capitaine sur un bateau. Le texte s’intitule « Ohé ! Ohé ! Capitaine ». J’avais écrit, comme première phrase, que nous sommes toutes et tous le capitaine de notre bateau et non un·e galérien·ne.
En fait, avec les expériences que j’ai vécues, je devrai écrire que je suis bien le capitaine de mon bateau et non plus un galérien. Cette différence, bien que subtile, me permet de dire que j’ai été longtemps, très longtemps un galérien. Je subissais les évènements. Je respectais le scénario établi. Je n’avais aucune idée qu’il était possible de changer de lignes temporelles.
Maintenant, je sais qu’en changeant de lignes temporelles, le scénario peut être adapté. J’accepte, ici et maintenant, de vivre mon propre scénario, mon propre récit, ma propre histoire.
Je sais que l’Homme craint ce qu’il ne peut comprendre, ce qu’il ne peut contrôler. Il en est ainsi depuis le début de l’Humanité. Ainsi, toute structure sociale, quelle qu’elle soit, repose sur un support de prévisibilité. C’est comme un ensemble de codes qui rassurent et qui, en même temps, enferment. Je sais que l’inconnu, l’inattendu comme je l’appelle, dérange parce qu’il échappe aux schémas établis. Souvent il est « exigé » des personnes qu’elles suivent une logique, une cohérence, une trajectoire linéaire.
Récemment, avec les événements mondiaux en cours sur cette terre, j’ai lu un texte mettant en parallèle le comportement erratique de Donald Trump avec celui de Richard Nixon. Richard Nixon a « inventé » la stratégie du fou (« madman theory » en anglais). Il voulait que ses adversaires croient qu’il était imprévisible, prêt à l’extrême, capable d’appuyer sur le bouton nucléaire sur un simple coup de tête. Il jouait sur la peur de l’inconnu, sur la crainte que son absence de limites ferait reculer celles et ceux qui pensaient pouvoir le maîtriser. L’irrationnel, lorsqu’il est maîtrisé, devient une arme. Ce que Richard Nixon appliquait en politique, Donald Trump semble le faire également à une échelle plus vaste. Il paraît que le génie et la folie sont les deux faces d’une même médaille. D’autres disent que le génie est le voisin de la folie.
En même temps, je ne suis ni Richard Nixon, ni Donald Trump, bien loin de là. Pourtant, je suis un élément que l’on ne peut enfermer dans une catégorie, que l’on ne peut placer dans un moule, je suis celui dont on ne peut anticiper les choix. Je refuse d’entrer dans des cases. Je refuse d’avoir une étiquette. En fait, d’une certaine façon, mon imprévisibilité est une force. En fait, avec le temps, j’ai compris que j’utilisais l’art du contre-pied. Cet « art » qui consiste à prendre à revers les attentes d’un interlocuteur, d’une assemblée en adoptant une approche surprenante, paradoxale, inattendue. Ceci me permet d’ouvrir une page blanche. Il n’y a aucun chaos qui est créé, simplement une surprise, un étonnement qui, si je peux m’exprimer ainsi, remet de l’ordre dans l’échange, un nouvel arrangement, une nouvelle structure dans l’échange.
J’ai longtemps pensé que le chaos était l’opposé de l’ordre. En fait, il en est simplement une autre forme. C’est un peu comme l’ombre et la Lumière. Ce n’est pas être irrationnel de penser ainsi. L’histoire est remplie de figures qui, en acceptant d’être vues comme irrationnelles, ont changé le cours du monde. Diogène, le philosophe cynique, se comportait comme un fou aux yeux d’Athènes. Il vivait dans un tonneau. Il a même défié Alexandre le Grand en lui disant simplement : « Ôte-toi de mon soleil ! » alors qu’il était venu le trouver pour lui demander ce qu’il voulait.
Dans cette apparente absurdité réside, à mon sens, ce que peu peuvent percevoir : « La liberté absolue naît du refus des attentes des autres ». Je choisis alors d’être cet esprit insaisissable, non par caprice, uniquement parce que l’inattendu ouvre des brèches dans les murailles de la certitude. Qui peut prétendre contrôler ce qui l’entoure à commencer par lui-même ?
Je reprends ce que Confucius disait : « Comme l’eau se forme au récipient qui la contient, un homme sage s’adapte aux circonstances ». Et c’est ici, à mon sens, une des clés de la Vie qui est de s’adapter aux circonstances. Cette adaptation peut être vue par certain·e·s comme de l’imprévisibilité. Or, l’imprévisibilité est une force lorsqu’elle est choisie et intégrée. Loin d’être une errance aveugle, elle devient une manière d’exister sans entraves. Le fou n’est pas celui qui se perd dans le chaos, c’est celui qui compose avec lui, qui en fait un allié au lieu de le combattre.
Parfois, dans mes interactions, je laisse planer le doute. Suis-je sérieux ? Suis-je ironique ? Suis-je quelqu’un d’ambigu, d’indéfinissable ? Cette ambiguïté, d’une certaine façon, me protège, me donne un espace où personne ne peut m’atteindre complètement. Si quelqu’un cherche à me comprendre, dès qu’il croit m’avoir saisi, je me dérobe. Je suis un peu comme le savon mouillé qui est difficile à attraper sur une surface glissante. L’insaisissable est une forme de pouvoir.
Je vois dans la stratégie du fou, décrite plus haut dans le texte, une dimension spirituelle. Dans le milieu politique, dans le milieu dit « diplomatique », elle est vue comme un jeu de manipulation. Pourtant, elle représente aussi un détachement profond. Car pour désarçonner les autres, il faut d’abord se libérer soi-même. Si je ne suis plus prisonnier de la nécessité d’être compris alors je suis Libre. La véritable sagesse n’est-elle pas de s’affranchir du besoin de justification ?
En fait, j’ai accepté de suivre le chemin de l’ouverture vers l’inattendu dont j’ai déjà parlé. J’ai accepté que ma vérité ne se loge pas toujours dans la clarté. Elle est parfois dans l’obscurité d’une démarche incomprise.
Pour reprendre l’image du capitaine du début du présent texte, je suis aussi un navire aux voiles tantôt déchirées, tantôt rapiécées. Et même si mes voiles ne sont pas aussi porteuses que d’autres, je trace ma route. Là où certain·e·s croient voir une tempête, je vois un passage. D’une certaine façon, je suis le fou du jeu d’échecs qui avance en diagonale, là où d’autres ne voient qu’une marche droite. En même temps, je ne suis pas perdu. C’est simplement que mon itinéraire n’est visible que pour celles et ceux qui osent regarder autrement. Comme je l’écrivais dans le texte du même nom en citant Sénèque : « Il n’y a pas de vent favorable pour ceux qui ne savent pas où ils vont ».
En acceptant l’imprévisibilité comme un mode d’Être, je ne subis plus le monde, je le façonne. Je suis le capitaine de mon bateau et non plus un galérien.
(Mon Essence Spirituelle)
(Michaël « Shichea » RENARD (20250307-1))
(Illustration : Flux (Pro) suivant mes directives)
(Musique lors de l’écriture : Philhelmon – 2024 – Into The Mist Of Time)

Laisser un commentaire