La Fragilité du Libre-Arbitre
J’ai lu récemment, sur un site, cette phrase : « Il y a deux manières d’affaiblir le libre-arbitre d’un être humain : la douleur ou le plaisir ». Bigre ! me suis-je dit.
La douleur, je la connais comme une ombre, une maîtresse cruelle, silencieuse. Elle a une manière de s’insinuer, non pas seulement dans ma chair, elle est aussi présente dans mes pensées, dans mes espoirs, dans mes convictions qui paraissent inébranlables. Il suffit d’un instant, une brèche, une fracture et, soudain, le monde entier semble se résumer à cette unique sensation. La douleur est réductrice. Elle contracte l’Univers à son propre battement, à son propre cri. Elle exige tout, elle consomme tout. Paradoxalement, dans cette exigence absolue, elle fournit aussi un « sens », c’est la vulnérabilité. Je ne peux me tenir face à la douleur sans en ressentir l’écho, sans reconnaître qu’elle m’atteint, qu’elle me transforme.
Et pourtant, la douleur est aussi un miroir. Elle me force à me regarder sans détour, à contempler ce que je suis lorsque tout est dépouillé aussi bien physiquement, qu’émotionnellement voire spirituellement. Qui suis-je, lorsque l’armure de mes certitudes tombe, lorsque le poids des apparences s’effondre ? Je suis nu.e face à moi-même, sans échappatoire, dans une sorte d’état brut. Peut-être est-ce ceci qui fait peur dans la douleur, pas seulement sa morsure, c’est ce qu’elle mordille, ce qu’elle révèle, ce qu’elle érode en silence.
Le plaisir, lui, est une force différente et, pourtant, tout aussi redoutable. Il enveloppe, il caresse, il susurre, il séduit. Contrairement à la douleur, il ne se présente pas comme un ennemi, plutôt comme un allié, un refuge. Pourtant, c’est là où réside son pouvoir, il désarme. Le plaisir a cette manière d’entraîner dans son courant, d’inviter à oublier, de se laisser porter. Et, dans cet abandon, qu’est-ce qui est perdu ? Est-ce la vigilance ? Le jugement ? Ou, peut-être, simplement cette part de chacun.e qui, dans la douleur, cherchait encore à résister ?
Il y a dans le plaisir une forme de dissolution. Non pas brutale, imperceptiblement douce. Je me laisse aller, je m’immerge et, peu à peu, je cesse de questionner. Tout semble si simple, si évident, si naturel, si fluide. Pourtant, je sens parfois cette pointe de doute, ce murmure qui me rappelle que tout ceci est éphémère, que ce que le plaisir donne, il peut aussi l’arracher. Alors, où suis-je dans tout ceci ? Suis-je celle/celui qui goûte ou celle/celui qui est goûté.e par le plaisir lui-même ?
Je me demande si l’une de ces forces est plus forte que l’autre. La douleur me semble plus immédiate, plus incisive, plus brute. Elle s’impose avec une violence que l’on ne peut ignorer. Le plaisir, lui, a cette manière insidieuse de s’installer, de se faire indispensable. Il ne frappe pas, il murmure. Il ne détruit pas, il endort. Et pourtant, je ne peux m’empêcher de me demander si, dans ce sommeil, je perds quelque chose de précieux, quelque chose que je ne pourrais récupérer.
Peut-être que la véritable question n’est pas laquelle de ces forces est la plus puissante, plutôt comment elles agissent ensemble. Car elles ne s’opposent pas toujours, parfois, elles se complètent, elles se répondent. La douleur peut rendre le plaisir plus intense et le plaisir peut rendre la douleur plus cruelle. Ce ballet entre les deux m’interpelle. Est-ce ceci la condition humaine ? Être suspendu entre ces deux pôles, tiré tantôt par l’un, tantôt par l’autre, sans jamais pouvoir s’en affranchir totalement ?
Je ne peux m’empêcher de penser que la liberté véritable ne réside pas dans l’absence de douleur ou de plaisir. Cette liberté est dans la manière dont je leur fais face. Suis-je un simple réceptacle, un navire à la dérive sur ces courants ? Ou bien ai-je le pouvoir, même infime, de choisir ma réponse, de modeler ma manière d’exister au milieu de ces tempêtes ?
Il y a une tension constante, un dialogue entre ces deux forces. La douleur me rappelle mes limites, mes failles, tout ce que je ne peux contrôler. Le plaisir, lui, me fait croire à l’illusion de l’illimité, à cette idée trompeuse que je peux tout embrasser, tout posséder. Et moi, entre les deux, je vacille. Je vacille et, en même temps, je tiens debout. Peut-être est-ce ceci, ma seule véritable victoire. Tenir, même lorsque tout autour de moi s’effondre ou m’absorbe.
Je me rends compte que la douleur et le plaisir ne sont pas seulement des expériences individuelles. Ils façonnent mes relations, ma manière d’être avec les autres. Lorsque je souffre, je tends à me refermer, à ériger des murs pour me protéger. Et pourtant, parfois, c’est précisément dans la douleur partagée que je trouve une connexion plus profonde, une HUmanité commune. De même, le plaisir peut être un pont, un moment d’unité. Pourtant, il peut aussi devenir une prison, un masque, une manière de fuir l’autre au lieu de l’approcher.
Alors, qu’est-ce que tout ceci signifie ? Peut-être que la douleur et le plaisir sont les architectes de mon HUmanité, les forces qui me rappellent que je suis vivant.e, que je suis en chemin, toujours en conquête. Ils sont là, omniprésents et je ne peux les ignorer. Il y a cependant une porte, une issue, un chemin, c’est d’apprendre à les écouter, à les comprendre, à les apprivoiser. Car, au fond, ils ne sont ni ennemis ni alliés. Ils sont simplement des messagers, des guides, des miroirs. Et moi, je suis celle/celui qui apprend encore à lire en eux.
(Mon Essence Spirituelle)
(Michaël « Shichea » RENARD (20241202-4))
(Illustration : Microsoft Designer suivant mes directives)
(Musique lors de l’écriture : Joey Frevola – 2024 – Art Supplies And Pain)

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